Spectacle inspiré de récits de la confrérie donso (langue bamanan)
La jeune création malienne répond par l’art à la violence. Mise en scène : Kali Sidibé avec Dasson Diarra, Mamadou Koné et Lassiné Sidibé (Cie Moranydasoka). Ce spectacle participe à l’initiative « La création en 1000 jours » pilotée le réseau Culture en partage. Il a reçu le soutien du Cercle Culturel Germano-Malien et est accompagné par l’association Djiguiya Blo et le CENOU.
Le contexte
Le nom de l’antique confrérie des chasseurs-donso et celui des villageois dogons ont été associés à des équipées meurtrières contre des Peuls. La morale et la philosophie de la confrérie donso ont pour armature le respect de la vie humaine et des équilibres de l’univers. Les Dogons et les Peuls sont liés par une alliance séculaire qui leur enjoint de faire société ensemble et leur interdit jusqu’aux affrontements verbaux, sauf s’ils sont faits sur le ton de la plaisanterie. Tout le Mali a été sidéré à l’annonce de tueries qui contredisent de façon si flagrante les règles qui fondent depuis des siècles son unité pacifique. Beaucoup mettent en doute l’identité des agresseurs, donso par le costume, mais si peu par leur comportement. Et en effet, la partie du Mali où se déroulent ces crimes est depuis quelques années déstabilisée par des gangs, des armes, des idéologies et des projets politiques étrangers à ce qui a historiquement constitué les sociétés de l’aire mandingue dont les donso, les dogons et les peuls – les vrais – sont d’incontestables piliers.
La sidération provoquée par ces massacres prend appui sur une culture sédimentée dans l’esprit de la plupart des Maliennes et des Maliens. Mais le pays souffre aussi d’une rupture de la mémoire. Dévalorisées par la colonisation, brouillées par une transmission intergénérationnelle qui fonctionne mal, les institutions endogènes résistent difficilement aux germes de décomposition. Et pourtant, quand on les réveille, elles produisent jusque dans la jeunesse des anticorps actifs contre ces maux.
Le retour au passé ne résoudra pas les problèmes d’aujourd’hui, mais la rupture avec le passé paralyse la mobilisation des esprits et entrave l’ouverture de la perspective. Le spectacle Le serment / Mali kali kan en témoigne. Il est en lui-même un acte de fraternité adressé aux Maliens de toutes conditions et de tous âges, un acte de confiance dans la fécondité de la culture malienne, une réponse donnée par de jeunes artistes à des questionnements qui traversent le corps social.
Le spectacle
Kali Sidibé est un des jeunes espoirs de la création théâtrale malienne. Il porte le patronyme d’une grande famille peule. Il a choisi de mettre en scène des récits tirés du patrimoine donso frauduleusement invoqué pour justifier les tueries. Le serment / Mali kali kan convoque les Maliens autour d’un imaginaire qui leur est commun, quelle que soit la lignée dont ils descendent. Le spectacle conjure ainsi la peur et la haine que cherchent à semer les meurtriers. Son dessein à lui seul est un acte de paix. Le contenu des histoires qu’il met sur scène enracinent cet objectif dans des images et des pensées pleines d’enseignement et d’attrait.
Le spectacle est joué par trois artistes. Deux comédiens : Dasson Diarra et Mamadou Koné. Un jeune chantre donso : Lassiné Sidibé. Il est soutenu par l’association Djiguiya Blo, organisatrice du festival Donso ngoni qui réunit chaque année des milliers de personnes au Palais de la Culture de Bamako. La création de Mali kali kan s’inscrit dans le projet « La création en 1000 jours » promu par Culture en partage.
Le texte
Le spectacle est articulé autour de deux récits issus du patrimoine culturel des chasseurs-donso, antique confrérie initiatique au puissant héritage musical, littéraire, philosophique et cynégétique.
Les deux contes expriment un rapport paradoxal à la vie, très caractéristique de la pensée transmise et développée par les confréries donso.
Dans le premier, le chasseur Flani Boyi établit avec les animaux une alliance qu’on pourrait dire « écologique », replaçant le prélèvement que le chasseur opère sur la nature sauvage dans une pensée du conflit et de l’harmonie entre toutes formes de vie.
Le second récit – Numuntènè – remet en cause de façon troublante la hiérarchie hommes-femmes. Issu de pays aux coutumes par ailleurs très patriarcales, le renversement des rapports que propose cette histoire témoigne d’une pensée aux accents libertaires qui a perduré dans le tréfonds des sociétés malinké et bamanan. Dans la confrérie donso, les hiérarchies de caste, d’âge ou de genre sont mises en cause, le respect des femmes est la règle, l’esprit critique est encouragé.
Le spectacle se clôt sur une évocation du serment des chasseurs, contraction de la Charte du Manden sur laquelle s’est fondée l’unité du Mali classique, lors de sa création par Soundiata Keïta, au début du 13e siècle. Soundiata lui-même était un donso et le grand ensemble politique fut fondé sur une pensée très élaborée de la concorde civile. Les racines de conflit potentiel sont repérées et écartées. C’est le cas notamment de la traite des êtres humains, source de guerres incessantes, qui est alors abolie. Convaincu que la révolte et la violence couvent sous la contrainte, le texte reconnaît également la nécessité de respecter les libertés individuelles, ainsi que l’égalité de tous, fortement proclamée dans sa maxime inaugurale : Nin bèè, nin ! Toute vie est une vie !
Le serment des donsow résume les règles sur lesquelles fut fondé le Mali classique. Ce vaste ensemble politique connut la paix et la prospérité durant deux siècles. Ici, un de ses souverains – Kankou Moussa, 14e siècle – représenté par un cartographe espagnol.
Ces principes jouèrent un rôle de première importance durant la période historique la plus faste de cette région du monde, qui connut alors et pour plusieurs siècles concorde et prospérité. Ils restent présents dans les mémoires et la pensée malienne d’aujourd’hui. Même si leur efficacité et leur capacité d’adaptation sont en partie abîmés par l’oubli, ils continuent à fonctionner comme des anticorps face aux menaces de désagrégation sociale.
Un spectacle en deux versions
Le spectacle est porté par deux conteurs qui se partagent une version dialoguée des textes. Leur art, intimement accordé aux formes de texte et de jeu liées à l’oralité, est accompagné des interventions musicales d’un chantre donso accompagné de son donso ngoni. Une première version en langue bamanan (bambara) a été créée – mise en scène Kali Sidibé – et a donné lieu à une tournée bamakoise en juin 2019 (soutien Centre Culturel Germano-Malien – CCGM et à une « nuit citoyenne de Sabalibougou » (soutien PISCAA – ambassade de France à Bamako).
Mamadou Koné, Kali Sidibé et Dasson Diarra
Une version française a commencé à être travaillée par la même équipe.
Le texte est adapté pour la scène par Jean-Louis Sagot-Duvauroux à partir d’histoires sont venues à sa connaissance par la transmission qu’en a faite un chasseur anonyme retranscrit par Youssouf Tata Cissé (Flani Boyi) et le chasseur-donso Mamadou Diarra retranscrit par Annick Thoyer (Numuntènè).
Dans son adaptation, Jean-Louis Sagot-Duvauroux s’est attaché à tirer le plus possible la langue française vers les rythmes et la poésie propres aux langues mandingues, ainsi que vers les effets stylistiques qui caractérisent les textes produits par oral. Conformément à une vieille tradition qu’ont en commun la littérature classique européenne et la transmission orale, il s’est par contre autorisé à resserrer, à modifier et à infléchir en fonction de sa propre sensibilité l’enchaînement des récits afin notamment de les ouvrir à des publics et à des formes de représentation éloignées des conditions originelles dans lesquelles ils sont véhiculés. Ce texte adapté à été réinterprété en langue bamanan par Kali Sidibé, Dasson Diarra et Mamadou Koné.