SUD-NORD
Un directeur de théâtre français demande à un artiste malien désabusé de monter un « kotèba » sur la ville de banlieue où il officie. Kotèba : saynètes burlesques de satire sociale jouées dans les cités de l’aire mandingue. Mais c’est pour des raisons extra-artistiques que les acteurs recrutés à Bamako cherchent à venir en France. Une comédie grinçante sur la façon dont les déséquilibres planétaires tordent les relations humaines à l’époque de la traque aux sans papiers, des visas au compte-gouttes et de l’internet généralisé.

Une pièce de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, avec Nouhoun Cissé, Lassine Coulibaly « King », Hamadoun Kassogué, Alimata Keïta, Didier Mouturat, Souleymane Ouattara, Michel Sangaré et Diarrah Sanogo.

Mise en scène de Patrick Le Mauff assisté d’Oumar Fofana ; Administration : Mantchini Traoré (Mali) et Jean-Jacques Barey(France) ; Création lumières : Hervé Gary, avec Youssouf Péliaba ; régie et technique : Youssouf Péliaba ; réalisation vidéo : Acrobates films-BlonBa. Direction de BlonBa : Alioune Ifra Ndiaye.

 « Sud-Nord, le kotèba des quartiers » a été créé en coproduction avec le théâtre de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne, France). Le spectacle a reçu le soutien du Psic (ministère de la Culture, Mali), du centre culturel français de Bamako, de l’organisation internationale de la Francophonie, de la région Île-de-France, des conseils généraux du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis et de l’Essonne.

Contact au Mali : Oumar Fofana (223) 602 85 85 — oumar@blonbaculture.com ;

Contact en France : Jean-Jacques Barey 33 (0) 1 47 70 67 30 ou 33 (0) 6 81 30 66 45 —  jean-jacques@blonbaculture.com.

L’idée de départ

Le Koteba est une forme ritualisée de théâtre donnée autrefois dans les villages maliens pour mettre en scène de façon burlesque les maux de la société et pour inciter à les corriger. Le théâtre de Choisy-le-Roi, une ville populaire de la banlieue parisienne avait accueilli deux spectacles de BlonBa inspiré du kotèba : Le retour de Bougouniéré et Bougouniéré invite à dîner. À la suite de cette expérience, l’équipe choisyenne a proposé à BlonBa d’imaginer la fabrication d’un spectacle inspiré du kotèba, en observant les modes de vie des Choisyens et plus généralement des habitants des banlieues. Cette proposition entrait dans le cadre de « Tous les Choisyens du monde », une initiative par laquelle le théâtre de Choisy propose à des équipes artistiques de créer un spectacle à partir de paroles de Choisyens.

L’idée est peut-être séduisante, mais elle est porteuse d’une bombe à retardement : « Comment demander à des Africains de porter un regard sur la vie des Français quand la France leur interdit l’obtention des papiers et des visas ? ». Si on ne se rencontre pas, on ne se comprend pas et la relation entre le Nord et le Sud ne peut se construire que sur de lourds non-dits. Le vrai sujet de la pièce commandée à BlonBa change alors de sens : non plus un kotèba sur la vie choisyenne, mais sur la demande faite par le théâtre et les malentendus qu’elle entraîne. «Sud-Nord, le kotèba des quartiers» met en scène des contradictions qui viennent contrecarrer les bonnes intentions d’un théâtre qui veut faire des habitants de sa ville et du monde, les premiers héros de la représentation. Tous les Choisyens du monde oui, mais tous les Choisyens d’un monde bancal qui tord les relations humaines.

Le kotèba, c’est quoi ?

Le kotèba est une forme de théâtre burlesque qui se donne dans l’aire mandingue (le Mali et les régions environnantes). La nuit du kotè, chaque groupe se réunit sur la place publique, les enfants, les femmes, les hommes, en cercles concentriques (kotèba signifie « grand escargot » par référence à la spirale de la coquille d’escargot). Le spectacle peut commencer. On y met en scène les tares de la communauté : tel père abusif, telle épouse médisante, tel avare invétéré, tel abus du chef de village…

Le kotèba provoque le rire, un rire d’autodérision. Ce rire-là nous réunit dans une émotion commune. Il juge, mais console aussi. Il corrige, mais en provoquant de la joie. Il ne culpabilise pas inutilement et provoque immédiatement une décharge libératrice. Le kotèba est un art populaire. Pas de public réservé. Des paroles importantes pour tous sont dites à tous. Le spectacle ne se joue pas dans des lieux réservés, mais dans des espaces publics où se constitue la communauté.

Dans les années quatre-vingt, des artistes bamakois, dont plusieurs font aujourd’hui partie de l’équipe de BlonBa, adaptent le kotèba pour la scène et la grande ville. Les sujets de satire de ce kotèba urbain ne sont plus des histoires de village, mais les problèmes qui assaillent le pays tout entier. BlonBa s’inscrit dans cette dynamique et poursuit l’aventure en lui donnant une ouverture internationale.

Sud-Nord est mis en scène dans un dispositif bifrontal où les spectateurs sont placés dans une grande proximité avec les acteurs, Le texte, la mise en scène, le jeu des acteurs tentent de faire vivre pour aujourd’hui l’art populaire et drôle du kotèba.

L’argument.

La fable que nous avons retenue est la suivante : le « Théâtre des quartiers », implanté dans une banlieue française, fait à une compagnie malienne à la dérive la proposition d’un kotèba sur la vie des banlieues, mais la frontière Sud-Nord est de plus en plus difficile à franchir. Pas de visas pour aller observer les Français. C’est donc sans pouvoir se rendre dans les quartiers concernés que la pièce va se construire. Pour la plupart d’entre eux, le spectacle est surtout un prétexte à franchir la frontière interdite, mais il ne faut évidemment pas que le commanditaire français comprennent la manigance. Il y a urgence à s’inscrire dans le désir de l’autre, à cacher le sien.

Un jeune homme assure par internet la liaison entre le groupe de comédiens et le « théâtre des quartiers ». À défaut de pouvoir se rendre sur place, ces images constituent le matériau qui va servir à préparer un vague spectacle répondant à la demande.

Dans l’équipe hétéroclite de comédiens et d’aspirants émigrés se glisse l’inquiétant personnage de Baniengo. Baniengo « l’égoïste » est un personnage de fiction imaginée par Alioune Ifra Ndiaye et BlonBa pour l’émission « A vous la citoyenneté » diffusée chaque semaine par la chaîne nationale malienne. Égoïste, jaloux, tirant tous ceux qui l’entourent vers le bas, archétype du petit jeu dans lequel se complaisent des hommes et des femmes qui ont renoncé à toute ambition, le personnage de Baniengo est devenu depuis un vrai phénomène de société. Dans la pièce, il représente une forme perverse et destructrice de soumission au déséquilibre entre le Sud et le Nord…

L’utilisation de la vidéo.

L’objet artistique est d’abord une pièce de théâtre : une fiction dans le style satirique du kotèba. Il est aussi fait de bribes de films, montage d’interviews réelles d’habitants des « quartiers » qui tentent de décrire, à destination d’un public africain, ce que sont leurs villes, leurs existences, leurs points de vue sur l’Afrique. La pièce est le kotèba non pas tant des quartiers eux-mêmes, mais de la demande faite par le directeur du théâtre. Le rire, très présent, est celui de l’autodérision sur fond de crise politique et morale. Peut-on encore se parler ? Nos mots ne sont-ils pas inévitablement tordus, déviés, vidés par les déséquilibres structurels qui fractionnent et hiérarchisent l’humanité ? Les interviewes des « habitants des quartiers » apparaîtront de façon elliptique dans spectacle lui-même, mais les spectateurs pourront en retrouver une version plus complète par téléchargement sur internet. Le spectacle n’est qu’un côté du mur, qu’un côté de la vérité. Il y a d’autres points de vue. À chacun de construire le sien… Rentré chez lui, le spectateur n’a pas terminé son travail.

Autour de « Sud-Nord, le kotèba des quartiers » est en train de se réaliser un film dont la sortie est prévue pour le printemps 2008. Le making of du spectacle sera le fil rouge d’un documentaire dont l’ambition est de faire le point sur l’histoire du kotèba contemporain au Mali (coproduction BlonBa-Acrobates films, réalisation Christian Lajoumard).

Sud-Nord, passage interdit.

« Je ne comprends pas pourquoi, avant même d’être né, mon enfant n’aura pas le droit de bouger sur sa planète » dit le personnage d’Hortense, jeune fille enceinte qui cherche à venir accoucher en France. Derrière cette question toute simple, c’est la déchirure Sud-Nord qui s’exprime. Visas, traque aux sans papiers, sermons sur la solidarité francophone : les effets concrets de la domination du Nord sur le Sud traversent le spectacle. Le directeur du théâtre des quartiers est un « bon Blanc », mais sa proposition, sincère et naïve, se trouve viciée, instrumentalisée, ridiculisée du fait de déséquilibres qui la submergent et dont il n’a pas conscience. Côté malien, la plupart des personnages ont entériné cette situation et cherchent à tirer leur épingle du jeu. Petites stratégies, rivalités, autodestruction ravagent le projet… Comment sortir d’un rapport dominant-dominé si profondément intériorisé chez les uns et chez les autres ? Quel travail doivent faire les uns et les autres s’ils veulent y parvenir ? Tel est le nœud de la fable.

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janvier 1 @ 00:00
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DVD Copat, France, France Ô, Mali, télévisions africaines via Cfi, TV5

Jean-Louis Sagot-Duvauroux, Patrick Le Mauff

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